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Les chevaux du lac Ladoga
Ecrit par Silwo jeudi, 31 juillet 2008 07:54
L’écrivain Curzio Malaparte rapporte dans son livre «Kaputt» la mort dramatique de près d’un millier de chevaux durant l’hiver 1942.
De très violents combats opposaient alors les armées allemandes et russes à la frontière finno-soviétique autour de la ville de Leningrad (actuellement Saint-Pétersbourg). Pour échapper à un feu de forêt provoqué par de violents bombardements aériens, une horde de chevaux sauvages se précipita dans le lac Ladoga. Malgré une vague de froid récemment arrivée, l’eau du lac était encore liquide. Pendant que les bêtes nageaient vers la rive opposée, l’eau gela soudain dans un grand fracas, emprisonnant instantanément les chevaux dans une gangue de glace.
Malaparte raconte que le lendemain «le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Les têtes semblaient coupées net au couperet. Seules, elles émergeaient de la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage. Dans les yeux dilatés on voyait encore briller la terreur comme une flamme blanche. Près du rivage, un enchevêtrement de chevaux férocement cabrés émergeait de la prison de glace».
Voici l’explication physique du phénomène : nous avons tous appris à l’école qu’en refroidissant de l’eau, celle-ci passe de l’état liquide à l’état solide quand la température atteint zéro degrés Celsius. Hélas, cette certitude inébranlable n’en est malheureusement pas une : l’eau peu demeurer liquide bien au-dessous du point théorique de congélation (jusque -39°C). Cet état très instable de retard à la transition de phase est nommé surfusion.
Deux conditions sont nécessaires à la surfusion : le refroidissement doit être très rapide et l’eau doit être très pure. En effet, la glace est une structure plus ou moins cristalline. Or pour que se forme un cristal il faut un site de nucléation (un germe à partir de laquelle les cristaux de glace vont croître) et une énergie de transition de phase (pour le changement d’état lui-même).
Lorsque l’on est juste au-dessous de la température de fusion (T0), il faut un germe d’une taille conséquente pour permettre le développement des cristaux. Plus on s’éloigne de la température de fusion (plus la température est basse), plus la taille de germe requise pour la cristallisation diminue. Il existe une température (T1) en dessous de laquelle la formation d’un germe est spontanée (elle ne coûte pas d’énergie). C’est entre ses deux températures T0 et T1 que l’on a un liquide surfondu.
Dans cet état métastable, a peu près n’importe quoi peut jouer le rôle d’un germe : l’injection d’une impureté ou une agitation du liquide suffisent pour déclencher la croissance des cristaux de glace qui se développent à partir de ce pseudo-germe.
Dans l’histoire racontée par Malaparte, le lac Ladoga était dans cet état de surfusion. Les malheureux chevaux ont rompu ce fragile équilibre, à la fois par le déplacement des masses d’eau lors de leur nage, mais aussi en introduisant des impuretés (herbe, poussières, grains de sable, poils…) dans l’eau. Le gel immédiat de l’étendue liquide scella alors le triste sort des équidés…
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